D’un côté de la planète, un marché chinois d’animaux sauvages dont certains représentent des espèces menacées ; de l’autre, des supermarchés européens pillés par des consommateurs craignant de manquer de nourriture. Le premier phénomène serait à l’origine du virus, le second sa conséquence. Mais est-ce vraiment si simple ? Une chose est sûre, notre rapport à la Nature et à l’alimentation semble occuper une place centrale et pourtant peu évoquée dans cette histoire. Examinons ce rapport, ses conséquences sur les territoires, dans l’espoir d’en tirer certaines leçons pour l’après-crise.
Précautions liminaires – d’où je parle
Je ne suis pas épidémiologiste, et n’ai aucune expertise dans le domaine de la santé. J’ai pourtant la chance d’être géographe. Une discipline interdisciplinaire et indisciplinée qui pose un regard systémique sur les territoires. Je vous propose donc d’aborder la crise qui nous occupe à travers le prisme de la biodiversité et de l’agriculture.
Crise de la biodiversité, mondialisation, crise agricole, crise climatique et pandémies : tout est lié
L’IPBES (qui, dans une certaine mesure, est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat) l’a confirmé : le déclin de la biodiversité que nous connaissons actuellement est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Cet effondrement est la conséquence directe de l’activité humaine. Sa première cause est la dévastation d’espaces naturels fortement liée à l’industrialisation de l’agriculture au sein d’un système mondialisé et à l’exploitation directe de certains organismes vivants. Afin de remplir les rayons de nos supermarchés et les étals des marchés, nous réduisons fortement les habitats naturels des espèces sauvages, y compris les espèces hôtes de certains virus, ce qui nous expose a un risque accru de pandémies tropicales. Par ailleurs, cette destruction contribue au changement climatique : la couverture végétale assure un rôle crucial de régulation climatique directe et le bouleversement du climat renforce cette perte de biodiversité, créant une boucle de rétroaction funeste. A l’avenir, l’impact du changement climatique sur la perte de biodiversité se renforcera. Le tout nourri par la soif de croissance, la mondialisation, le néolibéralisme. Des logiques mises à mal par le virus, mais qui, confinement passé, menacent de reprendre de plus belle.
Comme pour l’industrie, nous avons perdu nos moyens de production agricole
Comme les crises du manque de masques et de réactifs essentiels au dépistage nous le rappellent, nous avons perdu nos moyens de production. Ce constat peut être étendu au système agroalimentaire, un fait malheureusement ignoré par l’actualité récente. Répondant à des logiques de flux tendu et d’une recherche de production à moindre coût, souvent au détriment des normes sociales et environnementales, ce système met le métier d’agriculteur et d’agricultrice en Belgique en danger d’extinction. Sans les subsides de la PAC, aucune ferme belge n’est aujourd’hui compétitive sur un marché global. Par ailleurs, l’enjeu de la décarbonisation de nos économies est d’abord conditionné à la décarbonisation de l’agriculture. Un kilo de pétrole équivaut à une semaine de travail humain : nous sous-estimons donc largement le travail humain et animal nécessaire à la production alimentaire sans pétrole. A l’avenir, il faudra des bataillons d’agriculteurs et d’agricultrices belges pour nourrir notre pays. Aujourd’hui, ils et elles sont à peine quelques dizaines de milliers.
Transformer l’agriculture pour préserver la biodiversité
Pour ces raisons, parce qu’elle permettra de se passer des énergies fossiles, qu’elle remplira un besoin fondamental et qu’elle stimulera le développement endogène des zones rurales, la relocalisation de l’agriculture doit être une des mesures phares de la sortie du confinement. A l’opposé de la ruée vers les supermarchés, le regain d’intérêt pour les circuits courts et le bio, qui semble renforcé par la crise actuelle, est une opportunité à saisir. La prochaine réforme de la politique agricole commune, plus que jamais indécise, doit servir à financer cette transformation. Radicale. Car il s’agit bien de cela. En Belgique et ailleurs, l’agriculture du futur sera locale, productive, rentable, durable, agroécologique, paysanne. En somme, respectueuse des humains et de la Nature. Ou elle ne sera plus. A l’opposé du contexte de compétition actuel, elle reposera sur un modèle ancré dans des logiques de coopération et d’entraide, et la recréation de communs. A l’heure où moins de 5% des mammifères sont des animaux sauvages, protéger ceux-ci dans des réserves ne suffit plus. Il faut avant tout empêcher que le soja et la viande produits sur ce qui était autrefois l’Amazonie n’arrivent dans notre assiette. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la meilleure mesure de protection de la biodiversité passe par une transformation radicale de notre agriculture et de notre alimentation.
Concrètement, comment faire ?
La question est trop vaste que pour y répondre ici. Restent néanmoins quelques idées à développer. Toutes sont conditionnées par une meilleure utilisation des subsides agricoles. La plupart des solutions sont connues, du moins en principe : agroforesterie, utilisation accrue des légumineuses, vente en circuits courts et locaux, facilitation de l’installation des jeunes et de l’accès à la terre… Il subsiste pourtant de nombreux freins à leur implémentation. La recherche fondamentale et interdisciplinaire doit en faire un focus prioritaire. Une réflexion à l’échelle de nouvelles filières ancrées dans les territoires est à mener. L’émergence récente des ceintures alimentaires en Wallonie est un premier pas dans cette direction. Le développement de nouvelles recherches-actions participatives doit donner les moyens aux chercheurs et chercheuses de se mettre au service du bien commun. Enfin, à plus long terme mais à débuter aujourd’hui, on renforcera l’éducation à l’alimentation et au respect du vivant. Le coronavirus est une manifestation de la négligence de ce principe de respect. Son origine est à chercher dans les assiettes. Pas uniquement dans celles des mangeurs du marché de Wuhan, mais aussi dans les nôtres.
Nicolas Dendoncker
Source : https://www.unamur.be/coronavirus/experts/nicolas-dendoncker